Alors que Capcom a déjà annoncé un sixième épisode d’Ace Attorney qui sortira également en Occident, Dai Gyakuten Saiban semble pour le moment condamné à rester au Japon. Sorti en juillet 2015 sous le nom complet de Dai Gyakuten Saiban : Naruhodou Ryuunosuke no Bouken, ce spin-off nous met dans la peau de l’ancêtre de Ryuuichi Naruhodou/Phoenix Wright : Ryuunosuke Naruhodou, abrégé ici en Naruhodo.
On retrouve derrière le jeu Shuu Takumi, développeur principal de la série qui aura été absent du dernier épisode en date (Dual Destinies), mais qui avait cependant participé à l’écriture du crossover Professeur Layton vs. Phoenix Wright : Ace Attorney. Un jeu qui l’aura d’ailleurs visiblement marqué, au vu des nombreuses influences qui peuvent se retrouver dans ce Dai Gyakuten Saiban.
Ce nouveau volet de la série des Ace Attorney se déroule durant l’Ère Meiji, alors que le Japon s’ouvre à l’Occident et que le concept d’avocat est totalement nouveau. Le joueur suivra les mésaventures de Naruhodo, qui mèneront ce dernier du Japon jusqu’en Angleterre en passant par un navire russe, mais aussi son évolution à travers sa compréhension de ce qu’est la justice : qu’est-ce que réellement un avocat ?
Découpé en cinq chapitres, le jeu commence cependant assez mal pour Naruhodo, ce dernier se retrouvant dès le départ accusé d’un meurtre… Son ami Kazuma Asougi devant le représenter et le défendre, Naruhodo décidera cependant de défendre lui-même son cas. Sa malchance continuera dans le second chapitre, où il sera cette fois-ci épaulé par Susato Mikotoba, une étudiante en droit qui est également l’assistante de Kazuma Asougi. Par la force des choses, et après avoir durement gagné la confiance de cette dernière, Naruhodo et Susato se retrouveront en Angleterre où ils feront leurs premiers pas dans un tribunal à l’étranger. Naruhodo n’étant pas encore officiellement avocat lorsqu’il arrive à Londres et ignorant également comment se déroule un procès en Angleterre, ce sera Susato qui lui expliquera tout, cette dernière faisant en quelque sorte office de tutoriel pour le joueur.
Un Ace Attorney différent
La structure et le déroulement de ce Dai Gyakuten Saiban bousculent les habitudes des joueurs qui ont fait tous les épisodes de la série : si le premier chapitre n’a rien de surprenant, les suivants sont très différents de ce à quoi on aurait pu s’attendre. Le tout étant bien entendu agrémenté de petites nouveautés qui font ici leur première apparition dans la série.
C’est dans le second chapitre que Naruhodo fait par ailleurs la connaissance d’un autre personnage important : le célèbre détective excentrique Sherlock Holmes. Ce dernier est ici un personnage assez surprenant qui n’hésite pas à se moquer du héros et à le faire tourner en bourrique. Il possède également un sens de la déduction assez… particulier, lui faisant déduire des choses qui sont loin d’être la vérité.
Ses déductions peuvent heureusement être rectifiées par Naruhodo, ce qui se traduit ici par des phases de jeu où Sherlock Holmes et Naruhodo agissent en duo pour trouver la vérité : le joueur doit remettre de l’ordre dans les déductions de Sherlock Holmes et le corriger, en remplaçant le mot erroné signalé en orange dans le texte par le bon mot ; choisir le bon mot se fait en sélectionnant un objet se trouvant dans la pièce actuelle où le joueur se trouve, ou bien s’il s’agit des propos concernant une personne, de faire littéralement pivoter cette dernière (le joueur peut tourner autour !) afin de relever des indices que l’on peut facilement rater, comme par exemple une tache se trouvant dans le dos du personnage en question.
Une chose qui m’a surprise en bien dans ce jeu est le réel développement de Naruhodo. De novice un peu perdu à avocat, le jeu lui en fait voir de toutes les couleurs, et il se remettra souvent en question : ce qu’il fait est-il juste ? Doit-il faire absolument confiance à ses clients ?
Il est même intéressant de voir que les acquis de la série Ace Attorney, notamment cette fameuse « recherche de la vérité », soient ici remis en question. Par exemple (et sans spoiler), durant le procès à propos d’un meurtre dans le troisième chapitre, Naruhodo réussit à innocenter son client mais il se rend compte qu’il reste des points obscurs. Il souhaite continuer le procès pour trouver la vérité, mais cela lui est refusé car les procès se contentent ici de déterminer si une personne est coupable ou innocente, ni plus ni moins ; s’il souhaite découvrir la vérité, il aurait alors besoin de plus de preuves, mais il faudrait également modifier la loi. C’est par ailleurs ce troisième chapitre qui reste le plus important du jeu, et c’est aussi ce procès qui remettra le plus en question Naruhodo qui, au contraire de Phoenix Wright avec son magatama ou encore Athena Cykes avec son Mood Matrix, ne peut que se reposer sur sa logique et son raisonnement : ce qu’il a fait était-il le bon choix ?
La conclusion sera apportée dans le cinquième et ultime chapitre ; une conclusion qui laissera toutefois sur sa faim, le jeu comportant un très grand nombre de zones d’ombre et de mystères non résolus… mais j’y reviendrai un peu plus tard.
Le système de jeu
Le jeu a un petit côté qui rappelle Professeur Layton vs. Phoenix Wright, et cela se retrouve au niveau du gameplay : il y a ici un élément similaire durant les phases de procès avec la présence de plusieurs témoins qui se tiennent les uns à côté des autres. Lorsque Naruhodo interroge l’un de ces témoins, les autres personnages peuvent réagir au témoignage de leur voisin et il sera alors également possible d’interrompre la personne qui aura fait une remarque.
C’est également lors du troisième chapitre que le jeu nous propose une nouveauté assez importante basée sur un système de jury : durant chaque procès, il y aura un jury de six personnes qu’il faudra convaincre de l’innocence du client que l’on défend. Il est expliqué que ces six jurés sont des citoyens choisis aléatoirement parmi la population anglaise, mais comme bien entendu nous sommes dans un Ace Attorney, certains jurés auront donc quand même un lien avec le procès, voire même ils feront partie du jury plusieurs fois tout au long du jeu.
Le problème avec ces jurés est qu’ils changent d’avis comme de chemise et sont facilement influençables : ils peuvent donner leur vote à tout moment. En choisissant la culpabilité ou l’innocence du client que l’on défend, cela fera basculer (littéralement) une balance remplie de flammes d’un côté ou de l’autre. Si tous les jurés votent coupable, ce n’est cependant pas la fin du jeu : le juge donne alors à Naruhodo la possibilité d’exercer une sorte de plaidoyer final, un droit unique durant lequel le procureur n’a pas le droit d’intervenir et où l’avocat peut contre-examiner les jurés et faire ressortir leurs contradictions. En terme de gameplay, cela traduit ici par le joueur qui doit donc interroger chaque juré puis exposer deux témoignages qui se contredisent en sélectionnant les deux bonnes personnes.
Bien évidemment, les choix du joueur tout au long du procès n’influencent en rien la décision du jury de voter coupable ou innocent, ces phases faisant partie intégrante du scénario. Naruhodo devra toutefois très souvent renverser la vapeur durant chaque procès et convaincre les jurés de ne pas voter coupable ; une fois ces derniers convaincus, le procès reprend alors son cours normal.
Des personnages inégaux
Au niveau des personnages qui gravitent autour du héros, Susato représente la femme parfaite japonaise : plutôt sérieuse et calme, elle donne l’image d’une véritable Yamato Nadeshiko, mais elle n’est pas dénuée d’humour ; j’avoue cependant ne pas avoir été très fan de ce personnage un peu trop parfait, même si elle est probablement l’assistante la plus utile de toute la série étant donné ses connaissances en droit.
L’autre assistante qui épaulera Naruhodo dans le jeu est Iris Watson, une petite fille de 10 ans qui est en fait un véritable génie et dont le sens de la déduction est irréprochable, au contraire de Sherlock Holmes ; je pensais qu’elle allait être une gamine énervante, mais en fait pas du tout, et Iris est un personnage très utile et amusant. C’est également elle qui écrit les aventures de Sherlock Holmes dans l’univers de Dai Gyakuten Saiban, bien qu’elle ait tendance à embellir la vérité.
Comme écrit un peu plus haut, Sherlock Holmes est un personnage excentrique assez comique qui pourtant aidera énormément Naruhodo dans ses enquêtes. Si au tout début il apparaît vraiment comme quelqu’un de moqueur qui aime bien raconter des blagues douteuses, cela s’estompera au fil du jeu et il deviendra réellement quelqu’un en qui les personnages, mais aussi le joueur, peuvent faire totalement confiance.
Un autre personnage important du jeu est le procureur Barok van Zieks, surnommé le Dieu de la Mort et craint par de nombreuses personnes pour sa « malédiction » : il est dit qu’il a réussi à condamner tous ceux qu’il a jugés, et que ceux qui ont réussi à se faire innocenter sont morts. Ce procureur m’a assez déçue tellement je l’ai trouvé ennuyeux ; il fait également partie de ces procureurs qui sont finalement plus intéressés par la vérité que par gagner à tout prix un procès, mais jamais je n’ai senti dans le jeu la moindre menace venant de lui. Il est même assez peu présent je trouve, d’autant plus que son passé semble cacher bien des secrets : le jeu mentionne brièvement une trahison et une absence pendant cinq années durant lesquelles il n’a pas exercé sa fonction. Les raisons de cette absence ainsi que son passé ne seront d’ailleurs jamais expliquées, ce qui est bien dommage : au final, le joueur terminera le jeu en ne sachant quasiment rien de lui.
Un jeu sans réelle conclusion
Cette absence d’explications sur le passé de Barok me permet d’enchaîner sur le gros point noir du jeu et la raison pour laquelle il aura été très mal accueilli au Japon, avec au passage de nombreuses critiques négatives sur Amazon Japan : beaucoup de mystères ne seront jamais résolus. Et si jamais il n’y a pas de suite, on pourra penser que Capcom s’est un peu fichu des joueurs… Parce que oui, le jeu n’a pas de fin. Il y a tout de même une conclusion, mais la dernière affaire est loin d’être terminée : en fait, une fois ce Dai Gyakuten Saiban terminé, j’ai eu la sensation très désagréable de n’avoir joué qu’à un immense prologue.
L’impression d’inachevé laisse un goût amer car beaucoup de questions n’auront pas de réponses : je vais rester vague afin d’éviter les spoilers, mais on ne connaîtra par exemple jamais les motivations du meurtrier dans le premier chapitre. Quelle est également la véritable mission de Kazuma Asougi, l’ami de Naruhodo ? Quel est le véritable sens d’un certain message très important dont il est question dans le dernier chapitre ? Pourquoi Watson se trouvait-il au Japon ? Que contient le manuscrit du Chien des Baskerville que Sherlock Holmes refuse de rendre public au point de l’enfermer dans un coffre ?
Qui sont ces mystérieux personnages qui apparaissent quelques secondes durant le chapitre 4 ? Le joueur ne le saura jamais.
L’autre point négatif du jeu, et qui aura fait que je n’étais pas très motivée pour le terminer, c’est la longueur des procès. Les chapitres semblent s’éterniser, les procès étant par ailleurs ni très palpitants ni très engageants : j’ai même trouvé que c’était les moins bons de toute la série. J’ai vraiment cru que je n’allais pas en voir le bout et je me suis presque forcée pour terminer le jeu, d’autant plus que le « grand méchant final » est aussi pathétique que le dernier chapitre.
Une localisation impossible ?
Si un jour ce Dai Gyakuten Saiban est localisé, je me demande comment il sera adapté car il sera difficile de faire croire qu’il se déroule aux Etats-Unis, comme les autres épisodes de la série : l’intrigue débute au Japon (le premier procès s’y déroule) et le jeu finit donc par amener le héros et son assistante à Londres, avec au passage de nombreuses mentions sur l’ouverture du Japon à l’Occident, les relations politiques entre l’Angleterre et le Japon étant également un point important du jeu.
Le fait que Naruhodo soit Japonais a également son importance : ce point est très mis en avant dans le jeu et surtout dans le quatrième chapitre, où le joueur doit défendre un compatriote, le célèbre écrivain Natsume Sōseki. Le chapitre fait non seulement référence à ses livres, mais il est de plus clairement dit que Natsume fait confiance à Naruhodo principalement parce qu’il est Japonais comme lui. Naruhodo doit également faire face tout au long du jeu à de nombreuses remarques racistes parce qu’il est étranger, et le fait qu’il soit Japonais est également un élément très important lié au passé d’un certain personnage. Occidentaliser le jeu demanderait donc de faire de nombreux changements et de réécrire entièrement certains passages (et rendre Natsume Sōseki américain ? :p).
En vrac
Si je n’ai pas parlé des procès en eux-mêmes, mis à part le système de jury, c’est parce que finalement ils se déroulent de la même manière que dans un Ace Attorney classique. Il faut cependant ne pas oublier que le jeu se déroule dans le passé : il n’y a donc pas d’analyses d’empreintes digitales et encore moins de balistique judiciaire ici. Il y a cependant l’équivalent du luminol pour détecter les traces de sang, mais étant donné qu’il s’agit d’une création de Sherlock Holmes son utilisation ne comptera donc pas vraiment comme preuve irréfutable. Cela ne rendra pas pour autant le jeu plus difficile, qui dans l’ensemble ne pose pas trop de problèmes ; il est cependant moins facile que Dual Destinies, où les personnages disaient quasiment au joueur ce qu’il fallait faire.
D’un point de vue technique, Dai Gyakuten Saiban est irréprochable. Les animations sont superbes et les mimiques des personnages comme les tics nerveux de Natsume Sōseki sont assez drôles, sans oublier les quelques bizarreries amusantes comme le bandeau rouge de Kazuma Asougi qui flotte tout le temps au vent, y compris dans les espaces fermés.
Concernant les musiques, signées Yasumasa Kitagawa et Hiromitsu Maeba, elles m’ont un peu rappelé celles de Professeur Layton vs. Phoenix Wright ; dans l’ensemble j’ai vraiment adoré la bande-son, qui est peut-être la meilleure chose à tirer de ce jeu. Que ce soit le thème mélancolique de Kazuma Asougi, The Great Cross Examination ~ Questioning ~ Allegro, les différentes versions de Joint Reasoning (le thème utilisé lorsque Sherlock Holmes et Naruhodo font leurs déductions en duo), Logic & Trick que l’on entend souvent lors des procès quand il faut faire une déduction ou encore Pursuit ~ The Great Turnabout, j’ai vraiment, mais alors vraiment beaucoup aimé la bande-son. Bien plus que le jeu en lui-même, d’ailleurs. :’)
Au final, le manque de réelle conclusion et les trop nombreux mystères non résolus laissent tout de même un arrière-goût amer : si les autres Ace Attorney avaient chacun leur propre conclusion, ce n’est pas le cas avec ce Dai Gyakuten Saiban où, une fois les crédits de fin qui s’affichent, on se demande où est passée la suite. C’est finalement un peu comme jouer aux précédents Ace Attorney et avoir l’histoire qui s’arrête à l’avant-dernier chapitre.
Le jeu de Capcom souffre également de ce que j’appelle le syndrome Level-5 : c’est très joli et techniquement irréprochable, il y a des idées intéressantes, mais bon sang qu’est-ce qu’on s’ennuie en y jouant. Il y a pourtant des côtés que j’ai bien aimés, notamment l’évolution du héros qui grandit vraiment tout au long du jeu, mais les personnages sont finalement plus intéressants que le scénario en lui-même : les procès, en plus d’être longs, sont ceux que j’ai trouvés être les moins intéressants de toute la série.
Ce Dai Gyakuten Saiban restera pour ma part une sacrée déception car il est impossible d’oublier cette impression de s’être fait un peu arnaquer : Shuu Takumi a récemment affirmé dans Famitsu qu’il aimerait faire une suite si le jeu se vend bien, alors qu’en 2014 il avait été pourtant dit que ce serait une nouvelle série. Impossible de savoir si laisser les joueurs en plan était donc prévu ou non, mais l’absence de conclusion me laisse tout de même perplexe… Et c’est sans parler de la présence de DLC (et d’un season pass !), ce qui me fait également craindre la possibilité d’une éventuelle conclusion sous cette forme-là. Néanmoins, si un jour il y a une suite, j’espère que le résultat donnera quelque chose de bien meilleur : Dai Gyakuten Saiban est un Ace Attorney sympa sans plus auquel il manque également ce petit grain de folie qui existe dans les autres volets, mais qui a toutefois le mérite de proposer quelque chose de différent.
C’est triste. :(
Merci pour cette review de ce jeu qui n’atteindra probablement jamais le continent européen T.T
Après, je trouverais ça triste s’ils devaient « localiser » le jeu jusqu’à changer complètement le contexte de la même manière que les autres Ace Attorney.. comme souligné, on perdrait réellement quelque chose avec ce Dai Gyakuten Saiban. *espère quand même*
Ils peuvent toujours dire que l’ancêtre de Phoenix Wright était Japonais, et ne rien changer au niveau du contexte. ^^;
Mais effectivement, ça serait quand même bien que le jeu arrive un jour ici, même si c’est mal parti à cause de son statut de spin-off.
Bilan impeccable. Rien à dire, c’est du travail de pro. Je suis exactement sur le même constat : sympa, mais trop inégal. Le procès sont vraiment trop scriptés et certaines affaires trop banales (les chap. 2 & 4, au secours!).
PS : puis-je utiliser certains de tes screens pour mon test à venir sur Archaic? Ils seront à mon avis beaucoup plus à propos que les images éditeur.
Merci !
Aucun problème pour les screenshots, tu peux les utiliser. Je les avais de toute façon piqués sur plusieurs site japonais. ^^;